Ouagadougou, lundi 24 janvier 2022. Autour de 17h30, un communiqué lu à la Radiodiffusion Télévision Burkinabè (RTB) par un groupe de 14 militaires annonce que le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR)1 a pris le pouvoir : la constitution est suspendue, le gouvernement et l’assemblée nationale dissous et les frontières terrestres et aériennes fermées. Comment en est-on arrivé là, qui a pris le pouvoir et que se passe-t-il à présent sur le terrain ?

Un week-end de putch

Le dimanche 23 au matin, Ouagadougou s’est réveillée dans un crépitement de tirs d’armes en provenance de deux camps militaires (le Camp Baba Sy au sud de Ouagadougou et le Camp Sangoulé Lamisana à la sortie Ouest de Ouagadougou, dans les encablures de la communauté jésuite). Les tirs ont été sporadiques mais continus toute la journée du dimanche. En fin de matinée, l’incertitude régnait toujours et l’édition spéciale du Ministre de la Défense, Barthélémy SIMPORE, n’a pas rassuré les Burkinabé, d’autant plus que le Ministre lui-même reconnaissait que les réclamations des mutins n’étaient pas encore connues. Leur six (6) réclamations, qui seront connues plus tard dans la journée, tournent autour de la démission des chefs militaires et de l’équipement des Forces de Défenses et de Sécurité (FDS) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

La situation est restée relativement stable jusqu’au soir du 23 janvier. Cependant, après le match Burkina Faso- Gabon qui a vu la qualification du Burkina Faso pour les « huitième » de finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui se joue au Cameroun, le concert des sifflets de joie a été perturbé par une nouvelle série de tirs d’armes en provenance des deux camps. Notons qu’entre temps, il y a eu aussi des mouvements d’humeur dans les camps militaires de Kaya (centre nord) et de Ouahigouya (nord). Ainsi, durant toute la journée, les informations en provenance de diverses sources font état de l’arrestation du Président du Faso.

Dès le soir du même 23 janvier, le gouvernement décide un couvre-feu de 20h00 à 5h00 du matin et l’arrêt des cours dans les écoles primaires et secondaires pour les journées du lundi 24 et mardi 25 janvier. Ces décisions visaient à assurer la quiétude et la sécurité de la population. De fait, des étudiants, les travailleurs de la fonction publique et du privé ont majoritairement vaqué paisiblement à leurs occupations. Le lundi 24 janvier, le marché central de Ouagadougou était fermé, mais de nombreuses boutiques ont aussi ouvert. Selon certaines sources, durant tout ce temps, le désormais ex-président du Faso était entre les mains des mutins, mais des tractations étaient en cours entre les militaires et les gendarmes qui l’auraient exfiltré de son domicile. Le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), le parti qui était au pouvoir, évoque même une tentative d’assassinat du président. Quelle a été l’issue de ces tractations ? Nul ne le saura, du moins pas pour l’instant. Une rumeur parle de sollicitation difficile d’une lettre de démission de la part de l’ex-président. Toujours est-il qu’autour de 17h30, le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), présidé par le Lieutenant-Colonel Paul Henri Sandaogo DAMIBA, a annoncé avoir pris le pouvoir.

Le nouvel Homme Fort de Ouagadougou

Le nouvel homme fort du Burkina Faso, âgé de 41 ans, est un officier d’infanteries des forces armées burkinabè. Il est titulaire d’un Master 2 en sciences criminelles du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) de Paris et d’un certificat d’expert de la Défense en management, commandement et stratégie. Au retour de ses récentes études, Paul Henri Sandaogo DAMIBA, un ancien élément de l’ex-régiment de sécurité présidentielle de Blaise COMPAORE, a été nommé commandant de la 3ème région militaire, sans doute la plus importante du pays, qui couvre Ouagadougou, Koudougou, Kaya, Fada Ngourma et Manga. Sa nomination intervenue à la fin de l’année 2021 fait suite au drame d’Inata durant lequel une cinquantaine de militaires furent tués lors d’une attaque terroriste. Ce drame avait même précipité la mise en place d’un nouveau gouvernement et le changement de toute la hiérarchie militaire. Le nouvel homme fort est aussi auteur d’un livre de 160 pages (ed. Les 3 colonnes, Paris, 2021) intitulé « Armées Ouest Africaines et Terrorismes : Réponses Incertaines ». Comment est le climat socio-politique sur le terrain au pays des hommes intègres ? L’atmosphère socio-politique Avant même l’annonce de la prise de pouvoir par les mutins, des hommes armés avaient pris position devant la Radiodiffusion Télévision Burkinabè (RTB), toute chose qui suggérait que le rapport de force avait déjà changé entre le gouvernement légitime et les mutins. Des dizaines de badauds faisaient ainsi la navette entre la place de la Nation et la RTB pour soutenir les mutins4.

Les réactions des forces vives de la nation

A l’annonce de la prise de pouvoir par les mutins, ces groupuscules de badauds ont grossi devant la RTB et la place de la nation. Au journal de 21h00 de ce 24 janvier, la RTB à travers ses correspondants constate un grand calme dans la ville de Ouagadougou où le rythme effréné des habitants n’avait d’ailleurs pas apparemment été entamé par les bruits de bottes. Les autres principales villes du pays notamment Bobo-Dioulasso, Kaya, Koudougou et Fada N’Gourma sont restées tout aussi calmes 5. Sur le plan politique, à peine trois partis politiques (le MPP qui était au pouvoir, l’Union pour la Renaissance Sankariste Mouvement Patriotique Sankariste -UNIR/MPS et le Rassemblement des Patriotes pour le Renouveau – RPR) -) ont condamné le putch. En revanche, le Front Patriotique de la Renaissance-FPR, un parti de l’opposition, annonce « son soutien sans failles aux forces armées nationales ». Les organisations de la société civile (OSC) ne semblent pas encore avoir pris position. Le Balai Citoyen, une des organisations de la société civile qui avait activement participé à l’insurrection de 2014 qui a chassé Blaise COMPAORE du pouvoir, affirmait suivre la situation en mi-journée. Cependant, quatre responsables syndicaux membres de la faîtière Union d’Action Syndicale (UAS) condamnent le putch et prévoient consulter leur base pour savoir la conduite à tenir.

Les réactions internationales

Sur le plan diplomatique, l’Union Africaine, en mi-journée avait publié un communiqué condamnant « fermement la tentative de coup d’Etat contre le président démocratiquement élu ».7 Auparavant, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait déjà invité les mutins à garder une posture républicaine.8 En attendant d’autres prises de position et eu égard à la situation sécuritaire très préoccupante et au besoin de réconciliation au sein de la société burkinabè, certains citoyens Burkinabè estiment qu’il convient d’accepter de sacrifier le respect de l’ordre constitutionnel sur l’autel de la paix et de la réconciliation. Les mutins affirment en effet avoir pris le pouvoir dans « le seul but de permettre au pays de se remettre sur le bon chemin et de rassembler toutes ses forces afin de lutter pour son intégrité territoriale, son redressement et sa souveraineté ».

La rédaction avec 

François P. KABORE, SJ
Emmanuel FORO, SJ
à Ouagadougou-Burkina Faso.

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