Deux-mille-vingt-et-un (2021) est une année horrible pour le Tchad -annus horribilis-. Le président de la République, le maréchal Idriss Déby Itno trouve la mort au front, le 19 avril alors qu’il combattait, avec son armée, les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Quelques mois plus tard, soit le 24 août, l’ancien président Hissène Habré, condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité décède de COVID-19 à Dakar, au Sénégal. Les présidents Déby et Habré laissent derrière eux un Tchad à pacifier et des citoyens à réconcilier. Analyse.

À N’Djamena, les autorités de la transition caressent l’idée d’organiser un dialogue national inclusif. Leur démarche de rapprocher tous les Tchadiens est saluée par, quasiment, tous les acteurs politiques et de la société civile. Cependant, certains mouvements politico-militaires conditionnent leur participation. Le préalable fixé par l’Union des forces de la résistance (UFR) est la réhabilitation de Hissène Habré. L’UFR exige le rapatriement de sa dépouille pour y être inhumée au Tchad. Faire de cette réhabilitation une condition à la participation au dialogue national, c’est mépriser les familles des victimes d’un régime autoritaire, répond une partie de Tchadiens. Le FACT, lui, pose comme condition l’amnistie de tous les acteurs politico-militaires et la libération des prisonniers politiques. C’est dans cette ambiance que les Tchadiens attendent ce grand rendez-vous qui se veut, pourtant, inclusif. Les positions des uns et des autres vont-elles évoluées ou changées, grâce aux efforts de l’ancien président Goukouni Weddeye qui est à la tête du comité technique du dialogue ? Il informe l’opinion sur le fait que des contacts sont pris avec les uns et les autres. « Aucun politico-militaire n’a été exclu », rassure-t-il. Sur l’avancée des discussions avec l’UFR et le FACT, le président Weddeye se veut prudent : « Nous ne pouvons pas tout dévoiler ». Le pays de Toumaï amorce un tournant majeur et décisif. S’il réussit à organiser le dialogue national, l’après Déby et Habré sera assuré. S’il échoue, la cohésion sociale sera mise en péril pour longtemps encore. Le projet semble sur une bonne voie, car il y a un espoir que le dialogue se tienne avec la participation d’une grande partie de la composante de la société tchadienne.

Le pardon et la promesse pour une réconciliation durable

Le dialogue est fondamental dans la vie d’une nation qui a régulièrement vécu des moments tumultueux. Au nom de la paix sociale et de la réconciliation nationale, le pardon et la promesse sont deux facultés qui peuvent être pertinentes pour le Tchad. Mises en orbite, elles peuvent permettre aux Tchadiens de vivre l’idéal du « commun vouloir de vie commune ». Rappelons que le pardon n’est pas seulement l’apanage de Dieu, il est aussi celui des hommes. « À l’opposé de la vengeance qui enchaîne, le pardon libère l’individu, crée du neuf et rend libre », écrit une philosophe. Par le pardon, les hommes continuent à vivre ensemble. Ils restent des sujets libres d’action. Ce faisant, ils sont prêts à prendre un nouveau départ. Et c’est parce qu’ils sont toujours disposés à changer d’avis que l’on peut leur confier le grand pouvoir d’innover. Suivant cette réflexion, le pardon s’oppose littéralement à la vengeance qui est une réaction naturelle à la faute commise, c’est-à-dire à la transgression. Ceci dit, le pardon oriente les hommes à aller à la rencontre de leurs frères et sœurs, car enfermés en eux-mêmes, ils ne peuvent se pardonner le moindre manquement.

Par ailleurs, le pardon ne peut être complet sans la promesse. Aucun d’entre les hommes ne pouvant garantir les conséquences de son agir, nul ne pouvant savoir ce qu’il deviendra demain, il faut se lier par des promesses pour garantir le vivre-ensemble. Dès lors, la promesse apparaît comme le moyen approprié pour sauvegarder l’entente et la cohésion au sein d’une communauté éprouvée par les conflits. Au demeurant, le pardon peut permettre d’avouer les actes du passé – une faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée – ? Quant à la promesse, elle suggère aux parties en conflit de se lier par des engagements, en promettant de ne jamais commettre les mêmes actes. Ce faisant, elles maintiennent les relations dans la confiance mutuelle, tout en restant vigilantes, afin de prévenir d’éventuelles violences aveugles. En somme, à travers le pardon et la promesse, ce qui est recherché, c’est la culture du dialogue permanent pour un meilleur vivre-ensemble dans la cité. Nul doute, qu’à travers le dialogue national inclusif, les Tchadiens mettront l’accent sur le pardon et la promesse pour réussir le pari de la réconciliation nationale. Toutefois, il faut s’attendre à l’irruption avant, pendant et après ce dialogue, de fâcheuses questions comme celle liée à la justice.

La jeunesse à la recherche d’hommes nouveaux

Peut-on faire passer le pardon et la promesse avant la justice ? Et peut-on pardonner à la place des victimes, notamment les morts des régimes politiques autoritaires ? Epineuses questions de tous les temps. Comment les Tchadiens vont-ils tenter d’apporter des réponses à ces questions et à bien d’autres ? Selon le traité philosophico politique auquel nous avons fait référence ci-haut, le pardon et la promesse sont rendus possibles par le « miracle de la naissance », c’est-à-dire l’arrivée perpétuelle d’hommes nouveaux. Aussi, des observateurs de la vie politique tchadienne estiment-ils que la classe politique a besoin d’être renouvelée et rajeunie. De nouvelles figures politiques doivent émerger pour marquer l’après Déby et Habré. C’est, en effet, une idée à soutenir. La naissance marque la venue d’hommes nouveaux sur qui on peut compter. Certainement ceux-ci seront porteurs d’espoir. A N’Djamena, des jeunes souhaitent vivement que surgissent ces hommes et femmes politiques aux idées neuves et claires. Ils attendent d’eux qu’ils innovent, qu’ils entreprennent du neuf, pour donner de l’espoir au pays.

« Il y a une marée dans les affaires des hommes, prises dans son flux elle porte au succès. Mais si l’on manque sa chance, le grand voyage de la vie s’échoue misérablement sur le sable. Or aujourd’hui, nous sommes à marée haute. Prenons le flot tant qu’il est favorable ou tout ce que l’on a risqué sera perdu ». Ces mots attribués à Jules César veulent tout simplement dire : c’est maintenant ou jamais ! Pour les Tchadiens, il semble que c’est un moment favorable. Ils ont rendez-vous avec leur destin commun. Un échec du dialogue national inclusif serait synonyme d’un saut vers l’inconnu. 

Pierre Boubane

Write a comment:

Nous suivre: