Adrien-Leonard

Pierre Bélanger: Père Léonard, vous êtes récemment retourné au Sénégal, pourquoi donc?

Adrien Léonard: Je suis retourné au Sénégal pour faire mes adieux que je n’avais pas faits selon le mode africain quand je suis parti. Mais je suis retourné là-bas surtout pour célébrer mon 50ième anniversaire de sacerdoce, avec un peu de retard, en effet, j’ai été ordonné le 21 juin 1956 et la fête a eu lieu à Tambacounda, le 4 février 2007, qui coïncidait d’ailleurs avec le 12ième   anniversaire de l’inauguration de l’église St-Pierre Claver et de mon 82ième anniversaire de naissance… Et la fête a duré…

PB: Pourquoi là-bas, vous n’avez pas passé là toutes vos années de service sacerdotal?

AL: C’est là qu’est le cœur de ma vie sacerdotale. J’ai passé 31 ans au Sénégal, c’est un peu mon pays. Ça veut dire que les 2/3 de ma vie sacerdotale s’est passée au Sénégal, un pays très accueillant, bien différent de la culture qu’on rencontre ici. Là-bas, la fête dure longtemps, ce qui nous permet de comprendre un peu ce qui se passait au temps du Christ, aux noces de Cana par exemple. L’Afrique a conservé cette conception de la fête et du temps. Quand au revient en Amérique, les gens nous disent un petit « bonjour », même si ça fait vingt ans qu’on est parti. Là- bas on nous saute au cou: ma visite a été l’occasion de retrouvailles vraiment agréables. J’ai trouvé grand plaisir à rencontrer des amis et vivre avec eux des célébrations religieuses. L’accueil, au point de vue religieux là-bas, est très sympathique. Les gens ont un profond respect des valeurs religieuses.

PB: Pour mieux nous situer, rappelez-nous un peu votre cheminement jésuite, vos divers engagements.

AL: A la fin de ma formation, j’ai été nommé au Collège Sainte-Marie où j’ai passé dix ans, d’abord préfet de discipline de l’ensemble du Collège, 3 ans, puis directeur du Cours secondaire 7 ans. Puis j’ai pris charge de la maison de retraite Val- Racine, à Chicoutimi, 5 ans durant.. Puis ce fut le Sénégal, 10 ans à Ziguinchor, où j’ai occupé le poste de directeur du Collège St-Charles Lwanga, et 21 ans, à Tambacounda, où les Jésuites ont ouvert une nouvelle mission. Là nous partions de zéro! Ce fut une merveilleuse aventure! Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse sur la venue des Jésuites canadiens au Sénégal. C’est une demande venant de Rome et transmise au P. F. Larivière, alors Provincial, qui lui signifiait de trouver des Jésuites pour une mission au Sénégal: prendre en charge un collège et ainsi assurer une présence de la Compagnie dans ce pays d’Afrique. On m’a proposé cette tâche. J’ai accepté avec plaisir. J’avais 49 ans. L’équipe du départ comptait 6 compagnons.

PB: Récemment, lors de votre passage là-bas, on a voulu reconnaître d’une manière plus spécifique ce que vous avez fait?

AL: Nous avons ouvert une Centre culturel – c’était la raison principale de notre venue à Tambacounda -un Centre qui offrait différentes activités intellectuelles, spécialement aux élèves du Lycée d’Etat (niveau CEGEP) qui venait d’ouvrir ses portes. Nous leur ouvrions surtout une bibliothèque, bien équipée, des documents scolaires (plus de 5000 titres) qui pouvaient bien les préparer au baccalauréat, tout cela dans un environnement agréable. Leurs succès a démontré que nous avions bien vu. A l’occasion de mon séjour en janvier dernier, on a donné mon nom à cette bibliothèque. Cette attribution m’a bien touché.

J’ajoute un mot sur le milieu dans lequel nous avons travaillé. Le Sénégal est un pays dont la population est à 95% musulmane, à Tambacounda, 98%! Les chrétiens, une très petite minorité. Nous nous sommes toujours affirmés comme religieux. On savait fort bien qui nous étions. Les musulmans nous accueillaient avec la même chaleur que les chrétiens. L’Islam en Afrique noire n’est pas l’Islam dont on entend parler ici dans les médias. On ne trouve pas de fanatisme chez les musulmans africains – évidemment l’exception confirme la règle – on peut en trouver exceptionnellement – je le sais par expérience! La raison principale de cette absence de fanatisme vient du fait, je pense, que bien souvent, à l’intérieur d’une même famille, il y a des chrétiens et des musulmans. Ça permet d’éviter des conflits et ça assure beaucoup de compréhension de part et d’autre, la famille étant une valeur fondamentale, bien ancrée et respectée au Sénégal.

PB: Mais vous êtes revenu ici il y a trois ans maintenant. Quand vous êtes retourné   à Tambacounda récemment, les choses avaient-elles changé en trois ans?

AL: Vous savez les choses ne changent pas vite en Afrique, et comme on dit là-bas, «vous autres, vous avez l’heure, nous autres, on a le temps », ils ne sont pas pressés. Je dirais que depuis mon départ du Sénégal, les choses n’ont pas tellement changé. Le Collège   que nous avons fondé à Ziguinchor continue de progresser de façon honorable. C’est maintenant   les prêtres du diocèse qui en ont la responsabilité. Nous ne voulions pas nous « installer à perpétuité ». Nous avons quitté Ziguinchor pour aller, conformément à l’option de la Compagnie, vers des plus pauvres. C’est la raison première et fondamentale pour laquelle nous sommes partis pour Tambacounda qui est la région la plus pauvre du Sénégal.

Quand nous sommes arrivés, au mois d’août 1983 , le diocèse de Tambacounda n’existait pas, c’était une Préfecture apostolique; il y avait bien peu d’institutions chrétiennes. Notre but premier était de fonder un Centre culturel, et non une paroisse, pour rejoindre la population musulmane, « être comme le levain dans la pâte ». Mais sans tarder – dès notre arrivée – le Préfet apostolique nous a demandé de prendre en charge une paroisse. Nous avons accepté volontiers. Au début, il y avait une dizaine de chrétiens et la messe du dimanche se célébrait dans une famille. Cette paroisse compte maintenant plus de 700 chrétiens! Et une très belle église! La plus belle de Tambacounda, dirait le P. Allaire, ancien curé de St-Pierre Claver.

PB: A Tambacounda, vous avez retrouvé votre compagnon André Gagnon?

AL: Ah! C’est un homme charmant, qui sait recevoir les gens; il est très accueillant, sympathique, surtout très apostolique. Sous son élan la paroisse continue à se développer. Il a mis en valeur une idée que le Père Chrysologue Allaire avait à cœur: s’occuper des tout-petits. Cette œuvre porte le nom: « Eveil à la vie« » et il s‘y fait un excellent travail d‘éducation.

Je signale, en passant, le souvenir extraordinaire que le P. Allaire a laissé là-bas.

Quant au Centre, le P. Gagnon a mis à la portée des élèves l’informatique. L’accès aux ordinateurs est maintenant ouvert aux utilisateurs et il y a un jésuite africain en régence qui donne des cours d’informatique.

PB: Quels souhaits, quels espoirs pour l’avenir?

AL: Je suis très heureux de voir que ça continue à bien rouler, à bien marcher. Et qu’il y aura des successeurs aux œuvres que j’ai lancées. La présence de la Compagnie peut se développer là-bas. Surtout que le Sénégal est un des rares pays d’Afrique où il n’y a pas eu de « putsch militaire » sur le plan politique. C’est un pays stable, qui a ses problèmes mais qui peut les gérer. C’est surtout un pays qui est ouvert sur le plan religieux. Je souhaite que ça continue et j’espère y retourner un jour…Les 2/3 de mon cœur est resté là-bas, le 1/3 est ici…

 

Du Père Pierre Bélanger, S.J (Socius – GLC)

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