bon_samaritainLe  complexe médical de N’Djamena (Tchad) veut promouvoir un humanisme solidaire par le moyen des Sciences de la Santé : former des médecins et des infirmiers « pour les autres »


Récit du P. Gherardi qui retrace la belle aventure du Programme de Santé Intégré. Une longue et belle marche

Sous la véranda de la mission des Jésuites à Kyabé au Sud du Tchad, dans les bras de sa maman résignée, une fillette de deux ans était à l’agonie pour anémie paludéenne : le Père Rozée Bellisle, missionnaire jésuite médecin était impuissant; il aurait fallu une transfusion sanguine mais… il était dépourvu de tout ce qu’il aurait fallu.

Au coucher du soleil, voilà trois Land Rovers avec des Européens chasseurs d’éléphants dirigés à 100 Km plus au Sud pour une randonné de chasse : 10 minutes après, le jeune médecin de l’équipe sortait d’un frigidaire installé au bord d’un des véhicules tout le nécessaire pour commencer à transfuser la fillette et… au bout de trois jours la maman ramenait au village la fillette ressuscitée grâce à la foi et la charité des missionnaires auxquels le jeune médecin arrivé au hasard de la chasse dans ce coin de la brousse des hommes perdus avait apporté le complément scientifique essentiel pour sauver cette vie. C’était en 1959.

Pour moi, jeune régent à peine arrivé de ma formation philosophique, ce fait fut un moment de fulguration: la foi et la charité ont besoin de la science et de la technologie pour guérir et sauver. Pourquoi ne pas faire de ce qui était le résultat d’un heureux hasard (pour dire vrai, c’était la Providence) un programme de vie et d’action?

Voici ce qui fut  la préhistoire de l’engage­ment pour la santé du programme «Le Bon Samaritain», d’abord à Goundi ensuite à N’Djamena.

De retour au Tchad en 1968, après la théologie, je suis chargé de la mission de Goundi nouvellement fondée: 40.000 habitants sur un territoire immense (4000 km2) dépourvu de toute structure sanitaire publique ou privée.

Les premiers baptisés dans l’esprit de la parabole du Bon Samaritain se mobilisent pour venir au secours des nombreux malades dont les plus graves meurent souvent sur la route pour rejoindre les hôpitaux les plus proches situés à 60 et 180 km de distance. La Divine Providence continue de nous interpeller et stimuler tissant son dessein sanitaire dont vont émerger progressivement les diverses composantes et leur réalisation:

1969: l’Institut des Sœurs de la Charité de Sainte Jeanne Antide Thouret finance la construction d’une maternité à Goundi. Le Frère jésuite Enrico Mafioletti de la Province de Venise-Milan vient la construire.

1971: Misereor finance la construction d’un hôpital à Goundi.

1973: le 3 décembre, fête de Saint François Xavier, le Ministère de l’Intérieur du Tchad approuve l’Association Tchadienne Communauté Pour le Progrès (ATCP) en tant que responsable juridique des oeuvres de développement commencées et à venir.

1974: en janvier, ouverture de l’hôpital de Goundi et de l’École d’Infirmiers annexe. Le premier staff est constitué par un couple de médecins, anciens élèves du Collège jésuite Léon XIII de Milan, d’un Frère jésuite infirmier de la Province de Milan – Venise, de trois Sœurs de la Charité et d’une vingtaine d’infirmiers tchadiens. Simultanément sont envoyés aux études médicales à l’Université de Padoue quatre bacheliers du Collège jésuite du Tchad afin de préparer les futurs cadres de l’œuvre sanitaire.

De 1974 à 1990: l’hôpital fonctionne comme tout hôpital classique: il dispose de 120 lits avec les services de Pédiatrie, Maternité, Médecine Interne, Chirurgie, Bloc opératoire, Laboratoire d’analyses et Radiologie.

A partir de 1986 avec l’appui de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, est élaboré un programme de Santé Intégré selon les principes et les stratégies promus à Alma-Ata par l’Organisation Mondiale de la Santé. Sont envoyés à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers se former à cette nouvelle méthode de Santé Publique deux médecins tchadiens et deux Sœurs infirmières de l’hôpital de Goundi.

En 1990: approbation du Programme de Santé Intégré de Goundi par le Ministère de la Santé Publique et lancement des activités sur le territoire du district sanitaire de Goundi.

Le concept fondamental du Programme de Santé Intégré est l’intégration des activités des soins de santé primaire réalisés dans les Centres de Santé périphériques aux activités de l’hôpital de référence. Les infirmiers travaillent conformément aux protocoles de diagnostics et de traitements élaborés par le médecin de l’hôpital qui les supervise lors des tournées mensuelles.

Le Programme de Santé Intégré de Goundi opère depuis 1990 à aujourd’hui sous la direction médicale du Dr Leopoldo Labrin (Frère jésuite chilien) et l’apport chirurgical du Père François Cortadellas (Père jésuite espagnol), quatre Sœurs de la Charité y prêtent également service avec une équipe d’infirmiers et d’employés nationaux au nombre de 120 environ.

Ce staff est renforcé régulièrement par des intervenants expatriés, médecins et infirmiers pour des périodes plus ou moins longues. L’hôpital s’est doté progressivement de 8 Centres de Santé situés entre 20 et 30 km autour de l’hôpital. La population est passée de 45.000 habitants en 1974 à 65.000 en 1990 et à 118.825 en 2009.

Voici les résultats les plus marquants de ces 20 années d’application du Système de Santé Intégré à Goundi.

bon samaritain statistique

Ces résultats sur 20 ans autorisent à conclure que le Programme de Santé Intégré par rapport à un système classique (hôpital et dispensaires déconnectés) permet d’apporter à un plus grand nombre de malades des soins préventifs et curatifs efficaces. Ce système est aussi économiquement très intéressant, permettant de guérir à un coût moyen très bas (1 euro) 90% des malades dans les Centres de Santé, plus proches que l’hôpital où dans tous les cas le coût est 50 fois plus élevé. En 20 ans le nombre de malades nécessitant une hospitalisation a été divisé par cinq à Goundi.

En 1996, pour cette action «innovatrice et performante» en faveur du développement sanitaire, l’OMS, sur proposition du Ministère de la Santé du Tchad, a attribué à l’œuvre sanitaire de Goundi, parmi une centaine d’autres candidats un prix mondial de la Santé, le Prix Sasakawa.

Le Programme de Santé Intégré tel que mis en œuvre à Goundi a prouvé
qu’il était un instrument scientifique extraordinaire pour réaliser «l’option préférentielle pour les pauvres» qui constitue depuis la 34ème Congrégation Générale un choix fondamental pour l’action apostolique des Jésuites.

Dans la ligne de cette option, en 2004, pour étendre les résultats obtenus à Goundi à d’autres régions pareillement démunies du point de vue sanitaire, l’Association Tchadienne Communauté Pour le Progrès a créé à la capitale N’Djamena le complexe universitaire de formation et de soins «Le Bon Samaritain». Le but fondateur de ce complexe est de promouvoir un humanisme solidaire par le moyen des Sciences de la Santé: former des médecins et des infirmiers «pour les autres» enracinés dans un humanisme ouvert aux valeurs transcendantes voire religieuses, agissant dans le respect de la conscience de chacun avec un regard préférentiel pour les communautés humaines plus démunies.

Le complexe de «Bon Samaritain» est constitué par:

  • Le Centre Hospitalier Universitaire.

bon_samaritain_couloirLa structure est constituée de 184 lits avec les services de première consultation, soins d’urgence, soins intensifs, maternité – gynécologie, pédiatrie, médecine, chirurgie, bloc opératoire, laboratoire d’analyses, radiologie dotée de 2 scanners, laboratoire galénique, service des privés et service des infectieux. Le staff est constitué de 150 permanents (médecins, infirmiers, techniciens) et d’intervenants spécialistes divers. Trois Sœurs de la Charité prêtent également leur service.

 

  • La Faculté de Médecine.

bon_samaritain4aEn octobre 2010 sont en formation 20 étudiants de 6ème et 32 étudiants de Sème année. La direction est confiée au Professeur Pierre Farah, ancien Doyen de la faculté de médecine de l’Université jésuite Saint Joseph de Beyrouth. Le corps professoral est constitué par des enseignants intervenants de diverses universités libanaises, européennes et africaines. La faculté offre à l’étudiant un prêt d’études couvrant les frais de scolarité et une subvention de subsistance pendant 7 ans d’étude. L’étudiant s’engage à rembourser ces prêts une fois obtenu son doctorat, en 120 mensualités, et à travailler pendant 10 ans dans une institution sanitaire agréée par la faculté de préférence en zone rurale ou de banlieue urbaine. Les prêts remboursés constituent un fond de prêts futurs pour d’autres étudiants. Annexe à la faculté fonctionne l’école d’infirmiers régie par le même esprit et les mêmes conditions.

  • Le Pensionnat Universitaire.

Tous les étudiants sont internes. Cela permet de réaliser de bonnes conditions de vie et d’études. Les étudiants vivent en autogestion avec un règlement qui vise à favoriser au mieux les études et la formation humaine. La direction du pensionnat est confiée à un Père jésuite.

Après leur doctorat, les étudiants seront insérés dans les deux hôpitaux de Goundi et de N’Djamena et d’autres hôpitaux agréés, certains seront envoyés aux études spéciales pour préparer la relève des expatriés à la Faculté et au Centre Hospitalier Universitaire, d’autres suivront une formation complémentaire pour travailler dans Centres Médicaux à créer dans les campagnes et d’autres encore pourront suivre une formation spécialisée de médecin de famille pour les zones urbaines plus démunies.

Pour l’œuvre qui dure maintenant depuis 50 ans environ: afin d’assurer sa durabilité, une étude et une action sont en cours depuis quelques années afin de créer un Consortium d’Institutions, parmi lesquelles, avec une place spéciale, la Compagnie de jésus, permettant, en cohérence avec l’esprit fondateur de partager les responsabilités et les charges de l’œuvre sanitaire du Bon Samaritain, à Goundi et à N’Djamena et de ses futurs développements.

L’œuvre du «Bon Samaritain» au Tchad dans laquelle un certain nombre de jésuites missionnaires se sont investis depuis presque un demi-siècle peut constituer un lieu idéal pour que, dans l’esprit de la 34ème Congrégation Générale, la Compagnie y discerne un appel concret de l’option préférentielle pour les pauvres par un système d’intervention sanitaire de qualité, fondé sur la foi et la science.

Angelo Gherardi, S.J.