Article de Mars: Engelbert Mveng, la polyvalence d’une pensée au service de l’Église contemporaine en Afrique

Le père Engelbert Mveng (1930-1995) est une grande figure intellectuelle dans l’histoire de l’Église en Afrique. C’est un jésuite aux multiples visages qui a profondément influencé l’historiographie de l’Église africaine des temps contemporains. Historien, théologien, et artiste, le père Mveng a marqué son époque ; et il continue de marquer l’histoire de l’Église en Afrique. Au-delà des éphémérides, la figure du père Mveng fait l’objet de plusieurs publications qui témoignent de la richesse d’un homme qui reste encore à découvrir. C’est ainsi que trente ans après sa mort, il ne cesse de susciter de l’intérêt. Quelle est donc la fortune historique de cet homme aux multiples facettes ? 

Le père Engelbert Mveng a effectué d’importantes recherches sur l’histoire de l’Église en Afrique. Il avait développé des approches intéressantes qui restent encore pertinentes pour notre Église africaine d’aujourd’hui. Ses travaux se sont penchés sur l’interaction entre le christianisme et les traditions africaines. À travers sa vie et ses œuvres, une question centrale émerge : la question de l’identité africaine. En effet, cette question s’inscrit dans la perspective de l’histoire d’une Afrique postcoloniale et d’une Église africaine, marquée par le désir de devenir elle-même. De fait, cette question se fait jour dans le contexte d’une Afrique politiquement marquée par la soif de sa souveraineté ; culturellement marquée par la volonté de l’affirmation de son identité ; socialement audacieuse ; intellectuellement marquée par la critique du colonialisme, le courant de la négritude et le panafricanisme ; et religieusement marquée par la problématique fondamentale « d’un christianisme authentiquement africain, enraciné dans la tradition africaine et dans la tradition biblique vécue dans l’Église ». Ainsi, dans le souci d’une africanisation du christianisme, le père Mveng estime que le christianisme en Afrique ne devait pas être une simple imitation des expressions de foi du christianisme occidental. Pour lui, le christianisme en Afrique doit être vécu de manière authentique et enraciné dans les réalités africaines. Comme historien, il avait donc cherché à montrer que le message évangélique pouvait bien s’exprimer et s’incarner dans les cultures africaines sans être dénaturé. Pour y parvenir, il est passé par une méthodologie particulière : interroger les sources antiques, africaines, bibliques et ecclésiales. Sa contribution fondamentale dans l’histoire de l’Église en Afrique porte sur ces points essentiels : 

Le concept de la paupérisation anthropologique : ce fut une contribution théorique importante du père Mveng dans la réflexion critique africaine. Dans une Afrique marquée par les conséquences de la traite négrière, la colonisation, et certaines méthodes d’évangélisation, ce concept analyse l’appauvrissement fondamental qui touche l’identité africaine : dépossession identitaire, aliénation culturelle, religieuse et historique, destruction des structures sociales, rejet des cultures et traditions africaines. Selon Mveng, la reconnaissance de cette paupérisation est essentielle pour comprendre les vrais défis des sociétés africaines et développer une inculturation authentique du christianisme.

L’inculturation du christianisme : Mveng a été un grand défenseur de l’inculturation du christianisme. En effet, pour lui, « la problématique de l’inculturation apparaît ainsi comme une question d’authenticité et de vérité ». Voilà pourquoi on peut considérer qu’un des grands apports du père Mveng à l’histoire de l’Église en Afrique a été ses recherches et travaux sur l’inculturation, c’est-à-dire l’adaptation de la foi chrétienne aux cultures africaines. Refusant une adaptation superficielle, le père Mveng a milité pour une véritable rencontre entre le christianisme et les cultures africaines. De fait, l’inculturation, l’africanisation ou l’indigénisation du christianisme et de ses structures en Afrique était un grand défi. À travers ses recherches, le père a contribué à la réalisation d’un christianisme inculturé. Ses recherches et travaux en théologie et en art ont contribué à la valorisation des symboles et de l’art africain dans le processus de l’inculturation et de l’expression africaine de la foi chrétienne. Les contributions du père Mveng restent encore visibles dans la liturgie, lesmonuments, les églises, les peintures. L’expression artistique du père Mveng reste une approche originale de l’histoire de l’Église en Afrique. 

L’anthropologie de la vie : les recherches du père Mveng l’amènent à développer une anthropologie de la vie. Cette anthropologie de la vie met l’action sur la richesse et la vitalité des cultures africaines. En effet, pour le père Mveng, l’identité africaine est profondément enracinée dans une spiritualité qui célèbre la vie, la solidarité, le lien avec les ancêtres. Cette anthropologie porte alors à la joie de l’évangile.

Le père Mveng a eu une influence particulière sur l’historiographie de l’Église en Afrique. Cela se manifeste à travers le développement de la théologie africaine de l’inculturation et de la libération, le développement d’une liturgie qui intègre les éléments de la culture africaine, une approche critique et constructive d’interaction entre le christianisme et les traditions africaines, et la valorisation de l’art négro-africain dans la théologie et l’ecclésiologie africaine. Son assassinat en 1995 avait trop tôt interrompu son œuvre. Mais il continue d’influencer l’Église africaine. Le père Mveng reste une figure charnière et un témoin du passage d’une Église missionnaire à une Église africaine.