
Janvier 2021. Le président français Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée, tour à tour, les présidents tchadien, malien, mauritanien et nigérien. Celui du Faso sera reçu le 10 février. Avec ses hôtes Macron évoque les sujets à débattre lors du sommet du G5-Sahel des 15 et 16 février à N’Djamena au Tchad. Sur le terrain les djihadistes, eux, restent également très actifs. Le 13 janvier 4 casques bleus ivoiriens sont tués à Tombouctou, dans le Nord du Mali, après l’explosion de leur véhicule sur une mine artisanale. Le 20 janvier des Maliens manifestent à Bamako pour demander le départ des militaires français de leur pays. En France une partie de l’opinion publique y serait favorable. « Pour la première fois dans un sondage 51% de Français sont en faveur d’un retrait français du Mali », renseigne l’éditorialistePierre Haski dans sa chronique matinale sur la radio France Inter (Géopolitique du 28 janvier 2021). L’efficacité de la présence des forces armées étrangères au Sahel est plus que jamais sur la sellette. Il y a trop de monde pour des résultats limités, qui sont loin de combler les attentes des populations régulièrement endeuillées par les djihadistes. Une partie des Maliens réclame une nouvelle stratégie dans cette lutte contre le terrorisme. Ils sont en faveur du modèle angolais de la résolution de la crise. Il s’agit de congédier les forces étrangères pour privilégier la diplomatie locale. Toutefois, il n’est pas sûr que les autorités de la transition optent pour cette solution.
Lorsque l’opération Serval est lancée en 2013 par la France de François Hollande, toute l’Afrique de l’Ouest applaudit. Le Mali est sauvé d’une occupation totale par les djihadistes. Mais très vite certains observateurs s’intéressent aux non-dits de cette opération. Dans les cercles des intellectuels africains, certains avancent la théorie de l’agenda caché de la France. « Il fallait être le roi des naïfs pour croire que la France avait déclenché l’opération Serval, puis Barkhane en août 2014 dans le but philanthropique de libérer bénévolement le Mali des griffes de l’intégrisme religieux et armé », écrit un analyste Sénégalais sur un journal en ligne. Des jeunes soldats français ne peuvent être envoyés combattre au Mali que pour « les beaux yeux des Bambaras », poursuit-il avant d’agiter l’idée de la « contrepartie ». Une idée que propagent aujourd’hui ceux qui croient mordicus que la France s’intéresse plus aux ressources minières du Mali qu’à la vie des Maliens. Passons !
Lorsque le lecteur ouvre les pages de l’ouvrage cosigné par les journalistes Antoine Glaser et Thomas Hofnung Nos chers espions en Afrique, Fayard 2018, il est frappé par certains témoignages. Ils sont recueillis auprès de sources bien au fait des questions sécuritaires au Sahel. Dès le début de l’opération Serval (2013), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) se serait opposée à la volonté de l’état-major des armées françaises de frapper des réseaux djihadistes. On ne peut liquider l’ensemble des leaders identifiés. La DGSE estime qu’il faut en épargner certains. Car ils risquent de « devenir aveugles sur la zone » (Nos chers espions en Afrique, p. 175). Un choix stratégique douteux ? Les terroristes que la DGSE surveillait ou surveille encore continuent d’endeuiller le Mali et ses voisins. De fait, le plus inquiétant depuis lors, c’est la ramification de la crise. Elle a fini par engendrer des tensions intercommunautaires. Le 23 mars 2019 à Ogossagou dans la région de Mopti 160 personnes ont été tuées. Une grande émotion s’est emparée de toute l’Afrique de l’Ouest. A juste titre, car le massacre a eu une connotation tribale. Les victimes sont peulhs. Les présumés auteurs de la barbarie sont dogons. Certes, les peulhs et les dogons sont deux communautés historiquement rivales. Mais au cours de leurs bisbilles jamais il n’y avait eu autant de victimes dans un seul camp. Comment faire le rapprochement entre un conflit intercommunautaire et une question sécuritaire globale qui concerne finalement tous les pays du Sahel ? Les deux sujets ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Certains chefs djihadistes sont issus soit de l’une, soit de l’autre communauté. Après la tragédie d’Ogossagou, une fois de plus, on reproche aux forces armées étrangères de passivité. Les affrontements entre ces deux communautés pouvaient être évités si ces forces avaient correctement fait leur travail, accusent les plus critiques. La théorie du complot tourne à plein régime.
Plus pondéré, dans l’hebdomadaire Jeune Afriquel’ancien Premier ministre malien, Moussa Mara dénonce ces théories du complot dont serait victime son pays. « Nous sommes ainsi devenus de fervents adeptes des théories du complot, souvent fomentées de l’extérieur avec des puissances étrangères à la manœuvre. Complots dont la motivation varie selon les orientations de ceux qui les révèlent comme jadis sous d’autres cieux. Comme souvent pour nous dédouaner de nos errements ou pour trouver des explications simples à des situations complexes » (Tribune à JA, le 14 janvier 2019). Pour l’homme politique malien, les théories de pompiers-pyromanes sont peu crédibles. Il faut plutôt pointer du doigt les lacunes de l’animation sociopolitique du pays. Mara souhaite que le sommet de N’Djamena des 15 et 16 février prochain soit un « mouvement politique de vérité ». Car « Les États du Sahel doivent définitivement s’éloigner du syndrome du ‘pays faible à protéger’ ou encore de l’argutie de la ‘digue contre le terrorisme international menaçant l’Europe’». Fidèle à sa ligne de pensée, il conseille à chacun de faire correctement son travail. « Le fardeau le plus lourd revient à notre pays, le Mali », conclut-il (Le Point Afrique, 20 janvier 2021). Personnellement nous souscrivons à cette analyse. La discrimination d’une partie du pays ou celle d’une partie des citoyens, la corruption, le népotisme tels sont les péchés capitaux qu’on retrouve dans tous les pays d’Afrique Sub-saharienne. Puisque notre propos ici se concentre surtout sur le Mali, nous disons qu’il appartient aux Maliens de colmater les failles au sein de leur société. Pour cela ils doivent miser sur une politique de développement intégrale avec toutes les forces vives de la nation. Le Burkina Faso semble s’engager sur cette voie. Nommé ministre d’État, ministre auprès du Président du Faso, chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, Zéphirin Diabré est « chargé d’élaborer une stratégie de réconciliation nationale et une politique de cohésion sociale » (L’observateur paalga).
Les acteurs présents sur le territoire malien (ONU, G5-Sahel, France) sont, d’une manière ou d’une autre, en partie responsables du drame sécuritaire et humanitaire qui se joue. Voilà pourquoi nous estimons que le sang des innocents qui gicle macule les drapeaux de plusieurs pays. Car les objectifs et les priorités n’ont jamais été les mêmes pour tout le monde. Aujourd’hui le peuple d’en bas, pour écrire comme Jack London, crie très fort son chagrin. Il réclame une solution définitive de cette crise. Mieux, il propose une nouvelle stratégie de lutte, celle de l’exclusivité de la diplomatie locale. Cela revient à refuser toute ingérence extérieure. Sur le continent il y a eu un précédent avec l’exemple de l’Angola qui a “renvoyé” les émissaires et autres experts de l’ONU. Il a éliminé, politiquement voire physiquement, ceux qui refusaient la diplomatie locale, celle du dialogue national. Depuis le départ des fonctionnaires de l’ONU et la mort du leader de l’Unita, Jonas Savimbi abattu par l’armée nationale angolaise en 2002, l’Angola se porte bien. Lui qui a connu une décennie de guerre civile de 1991 à 2002. Les autorités maliennes de la transition prendront-elles le risque de congédier les casques bleus et les forces françaises de Barkhane ? Pas sûr ! Enfin, évoquons les statistiques qui ne sont pas à négliger. Depuis 2013, date du début de l’opération Serval, 55 militaires français sont tués au Sahel et au Mali sur les 5000 déployés. Le Tchad a perdu plus de 30 soldats. A la date du 31 janvier 2021, l’ONU enregistre la perte de plus de 230 casques bleus sur les 15 000 déployés. Les militaires maliens, eux, tombent presque chaque jour. Le 3 février dernier 10 soldats sont tués, à Mopti, armes à la main.
Pierre BOUBANE, SJ
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